mardi 27 mai 2008

L’île Guillou

L’île Guillou située au fond du Golfe de Morbihan est une des deux îles les plus visitées par les VCAT du programme Ecobio avec l’île Australia. En effet, ma collègue Hélène et moi, leur rendons visite mensuellement afin de faire des suivis sur les petites plantes qu’elles abritent.

Sur la carte de Kerguelen, le point vert correspond à PAF (Port aux Français autrement dit la base où nous sommes logés lorsque nous ne sommes pas en manip et le point jaune correspond à l’Ile Guillou. Le nom de l’île fait hommage à Raymond Guillou, maître de manœuvre à PAF mort suite à une maladie en 1966

Mon premier transit jusqu’à l’Ile Guillou se fit par la voie terrestre!

Pour aller sur les îles, nous disposons, en temps normal, des services de notre vaillant chaland : « L’Aventure II ». Cependant, comme notre ami était en panne jusqu’à l’OP0 (26janvier2008), nous avons décidé de joindre l’île Guillou à pied. Vous me diriez : « Et comment, puisque c’est une île ? ». Armés de patience et bénéficiant des nombreux cocotiers vivant autour de PAF, nous avons construit un radeau…Un radeau qui nous a doucement emportés jusqu’à notre île… Trêve de plaisanterie, l’île Guillou n’est séparée de la Grande Terre, comme vous pouvez (plus ou moins) le constater sur la carte, que par une petite passe d’à peine 15m de large. Donc, cette fois-ci, armés de courage et faisant confiance à nos petites jambes, nous sommes partis à quatre (Hélène, notre prédécesseur Jean-Phi ainsi qu’un manipeur Géophy) pour Guillou le 7janvier 2008. Nous sommes partis de PAF et avons d’abord longé la côte jusqu’à la cabane de Molloy notre première étape (3-4h de marche ; 1 : voir carte ci-dessous).

Le deuxième jour, nous avons atteint l’Anse de St Malo (10hde marche ; 2 : voir carte).

Après ces deux premières journées à trotter, une mauvaise météo (pluies et vents importants) nous a contraints de rester un jour de plus à St Malo. Le 10 Mai, nous avons enfin pu repartir en direction de Guillou. Sur ce coup là, nous avons eu les yeux plus grands que les pattes ! A 21h00, alors que le soleil commençait à décliner, nous n’étions encore pas arrivés au niveau de la passe. Devant nous, sous une lumière déjà un peu blafarde, de la falaise… Impossible de continuer sans commettre d’impudence! Nous avons alors pris la sage décision de bivouaquer (3 : voir carte) à l’ombre d’un rocher et d’attendre le lendemain pour finir le transit.

Heureusement pour nous, la météo fut assez clémente et c’est seulement entre 2 et 5h du mat’ que nous avons été trempés par une petite pluie qui mouillait bien tout de même. A 6h du matin, debout ! Nous avons fini de désescalader le plateau puis nous avons traversé au niveau de la passe à marée basse. Nous avions de l’eau jusqu’à la taille...Ouf, les sacs ont pu être passés sans se mouiller ! L’eau était un peu fraîche mais les deux kilomètres qui nous restaient à parcourir jusqu’au bout de l’île pour atteindre la cabane (4 :voir carte) nous ont permis de nous réchauffer ! Et puis à l’arrivée, nous avons eu la chance d’avoir un magnifique temps pour faire sécher nos duvets trempés dehors !

Mais, pourquoi se donner tant de mal pour atteindre une île ? L’amour bien sûr, l’amour des choux, des azorelles et de toutes ces petites plantes qui peuplent cette île...

Les manips de janvier à Guillou

Guillou est une île qui abritait des populations importantes de lapins jusqu’en 1994, date à laquelle la charmante petite bête a été éradiquée grâce à l’utilisation d’anticoagulants. Le but de cette manœuvre n’était pas de tester un moyen d’éliminer le lapin, espèce invasive, sur l’ensemble de l’archipel des Kerguelen. En effet, en raison de l’immensité du territoire et la multiplication hyper rapide de cette espèce, cette éradication totale ne pourrait pas être envisagée. Par contre, il est intéressant de suivre l’évolution de l’écosystème après la disparition du lapin. Le lapin, en se nourrissant de quasiment toutes les espèces végétales qu’il peut se mettre sous la dent, est responsable de l’importante diminution voire disparition sur de nombreux sites des espèces emblématiques de Kerguelen que sont les choux (Pringlea antiscorbutica) et les azorelles (Azorella selago) et de d’autres espèces autochtones moins connues mais tout aussi importantes pour l’équilibre du milieu d’origine.

Pour suivre l’évolution de ses communautés végétales, nous avons fait trois manips principales (déjà expliquées dans un précédent billet) :

-la manip « transects » : des lignes permanentes de 20m (suivies chaque année) sont réparties sur toute l’île et sur différents milieux (prairie à Acaena, zones humides, zones côtières, zonesrocailleuses…).

Afin de les retrouver, ces transects sont repérés par deux ringots (tiges en plastique colorées), sont géoréférencés et sont également matérialisés sur une carte. Avec tout ça, en général nous les retrouvons facilement sauf lorsque le célèbre vent des Kerguelen a frappé et le ringot s’est envolé ! Au niveau de ces transects, nous notons la présence et la hauteur de chaque espèce de plante selon la méthode des points contacts. Celle-ci consiste à regarder tous les 10cm quelles sont les espèces qui touchent une baguette (graduée par strate de 10cm) et à quelle hauteur. Sur Guillou, une quarantaine de transects !! Sachant que en moyenne un transect nécessite une à une heure et demie d’attention, je vous laisse imaginer le nombre d’heures passées à se traîner sur les genoux sur une longueur de 20 m !! Et puis, pour la personne qui prend des notes, faut faire des croix et des croix pour indiquer sur des feuilles terrains les espèces rencontrées tous les 10cm ! Au final, des milliers de croix qu’il va falloir compter par la suite !!

- la manip choux : Lorsque le lapin était présent, seuls les choux les plus acrobates (ceux ayant trouvés refuge dans les falaises) ont pu survivre. C’est à partir de ces résistants et de l’arrivée de graines (flottantes) par la mer que la recolonisation de l’île peut doucement se faire. Cette recolonisation est étroitement surveillée depuis l’éradication du lapin. Pour cela, de nombreux choux ont été « ringotés » (c'est-à-dire matérialisés par un piquet affublé d’une étiquette et de son petit numéro). Chaque année, leur diamètre est mesuré afin d’évaluer leur croissance. De plus, les hampes (fruits du chou) sont dénombrées afin d’évaluer leur capacité de reproduction. Sur Guillou, des milliers de choux à retrouver !! A retrouver, car la position de chaque chou sur un quadrillage digne de la bataille navale est indiquée par une lettre et un chiffre. De plus pour augmenter encore la difficulté du jeu, chaque carré est subdivisé en quatre zones : a, b, c et d. De quoi se prendre le chou pendant des heures... Heureusement, les journées en janvier étaient longues, ce qui nous permettait d’être sur le terrain vers 7am et de le quitter à 7pm !

- la manip azorelles : Comme pour les choux, leur croissance et leur reproduction sont également évaluées afin d’en connaître plus sur leur biologie et leur capacité de recolonisation.

Et doucement le jour du retour se rapprochait…Entre temps, nous avons eu l’info à la VAC qu’un bateau de pêche arriverait très bientôt avec la pièce nécessaire à la réparation du chaland... J’entends par « la VAC », la vacation radio que nous devons effectuer chaque jour à 17h30 pour donner un signe de vie à la base et avoir les prévisions météo des deux jours suivants. A l’idée de ne pas rentrer à pied, une lueur d’espoir s’est soudainement lue sur notre visage. Les horaires des marées et la magnifique météo annoncée nous faisaient un peu craindre la marche à venir! Cependant, le lendemain, grande déception. La pièce arrivée après tant de kilomètres parcourus s’avèrait être incomplète... Nous nous étions dons résolus à rentrer à patte… Le lendemain, un vent à décorner les bœufs s’était levé et nous n’avons pas pu partir. Alors que nous étions en train de nous balader aux abords de la cabane, nous avons alors vu un hélico de la marine nous survoler.... Vite ! Nous avons sauté sur notre radio! On venait nous chercher en hélico dans la soirée malgré un vent de malade!! Même avec la taille impressionnante de l’appareil, nous sentions fortement les secousses dues à la tempête. Nous avons eu la chance de survoler le Golfe et de rentrer à PAF en 20 minutes au lieu de 3jours!! Quelle aventure!!!

Les autres transits se firent par la voie maritime

Depuis fin janvier, le chaland refonctionne ! Avec ses 8 nœuds en moyenne, il nous permet d’atteindre notre lieu de manip en quelques heures au lieu de plusieurs jours de marche !! En plus, nous pouvons transporter tout un tas de matos indispensable à nos manips dans nos fameuses « touques » bleues. Les touques sont des sortes de bidon en plastique de 60litres étanches et solides. Parmi ces touques indispensables, il ne faut pas oublier les touques de « bouffe » et d’eau puisque certaines îles ne possèdent ni lac ni source. Des touques, nous en trimballons toujours une tripotée ce qui nous a valu nos surnoms avec ma collègue Hélène ! Sans chaland, pas de manip mensuelle à Guillou car celle-ci nécessite un retour rapide sur PAF…

La manip mensuelle à Guillou

Celle-ci doit permettre de voir comment réagissent deux espèces de plantes : l’une autochtone Acaena magellanica, l’autre introduite Taraxacum sp (le pissenlit) aux déficits hydriques. Depuis quelques années, le taux annuel de précipitations à Kerguelen a énormément chuté. De même, la moyenne des températures a augmenté de plus de 1°C en 40ans. Parallèlement à ces changements d’ordre climatique, le succés du pissenlit a pu être remarqué celui-ci grignotant petit à petit du terrain aux espèces autochtones comme l’Acaena. Reste à connaître les raisons d’un tel succés ? Le pissenlit est-il plus apte à utiliser une ressource en eau devenue plus rare ? Peut-il stocker plus d’eau que l’Acaena ? Pour répondre à cette question, nous allons, chaque mois, ramasser des feuilles des deux espèces sur l’Ile Guillou. La veille de la récolte, sur les 5stations de l’île (zones plus ou moins affectées par le stress hydrique) nous notons la hauteur de la strate des Acaena ainsi que leur stade phénologique (état de la plante : du stade végétatif donc sans fleurs à la production de graines) sur chacune des 10 placettes présentes sur les 5 stations.

Puis, juste avant la venue du chaland, de bon matin, nous allons cueillir nos feuilles d’Acaena et de Taraxacum que nous conservons dans des petits tubes en plastiques portant chacun le nom de l’espèce, de la station et de la placette d’origine. Aux quatre coins de chaque placette, nous prenons également des mesures d’humidité du sol qui pourront être reliées par la suite à la présence d’eau dans les plantes. En arrivant à Biomar (notre labo sur Base), nous nous dépêchons de peser nos feuilles fraîches et remplissons tous les tubes (plus de 150) avec de l’eau distillée. Les feuilles sont conservées à 4°C pendant environ 24h puis sont pesées à nouveau afin de connaître le poids de la feuille « imbibée » et donc sa capacité à absorber de l’eau. Enfin, les feuilles sont sorties de leurs tubes, conditionnées dans du papier alu et portées à l’étuve à 60°C pendant quelques jours. Les feuilles « sèches » sont alors repesées une dernière fois.

La manip de mai (du 5 au12) : Souris, azorelles, Acaena/Tara

Pour une de ces premières manips hivernales, le temps n'était pas au RDV (pluie et neige mêlée + vent). Au lever, il faisait 3°C dans la cabane et en général pas plus de 10°C au plus chaud lorsque nous cuisinions. Nous avons vu l’île saupoudrée de neige mais elle n’a malheureusement pas tenue... Malheureusement et heureusement finalement car cela aurait compliqué un peu nos manips !

La manip principale était celle du piégeage de souris. Chaque séance de piégeage dure 5jours. Nous avons trois transects de 100m parallèles entre eux et à la côte sur chacun desquels sont posés 34 pièges, soit 102 au total. Chaque piège est armé tous les soirs et appâté par un croûton de pain grillé à l’huile. Bonjour la séance d’enfumage dans la cabane lors de leur confection!! Tous les matins, nous relevons les pièges. Les souris prises au piège doivent être tuées puis ramenées à la cabane pour mesures et dissections. Chaque souris est pesée puis mesurée (taille du corps et taille de la queue). Ensuite, elle est disséquée afin d’une part de déterminer son sexe mais également de récupérer testicules, foie et cerveau qui serviront à des analyses génétiques. La manip se fait également à Cochons (autre île) et Isthme Bas (situé sur la grande terre à quelques encablures de PAF). Celle-ci doit permettre :

- d’évaluer le nombre de souris sur ces 3 sites et à le corréler à des paramètres comme la présence ou non de prédateurs et parasites, aux températures…

- de faire des analyses génétiques pour étudier les processus d’adaptation des souris au milieu particulier que constitue Kerguelen.

Au terme des 5 jours, nous avions 152souris!! Nos croûtons à l'huile devaient être fameux car nos prédécesseurs n’en avaient eu que 63 l’an dernier! Une année à souris peut-être ?
Une des autres manips consistait à mesurer la surface des azorelles (les mêmes qui sont suivies en janvier) afin d’estimer leur croissance au cours des années.

Enfin, nous avons effectué la manip mensuelle de ramassage de feuille d’Acaena et de Taraxacum. Cependant, les Acaena sont maintenant grillés, la manip va sûrement être suspendue pour l’hiver.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Ouahhhh!
Magnifique!
Ca donne envie d'y aller.... dommage qu'il n'y ait pas de grenouilles!
Profite-en bien
à bientôt
Gaëlle

Adrián García a dit…

It is a pity I don't speak French because I would love to be able to read your blog. Your pictures are very beautiful as well as the places you visit. Congratulations! Adrian